QUI A BIEN PU ECRIRE CE TEXTE ?
"Pouvait-on songer à édifier quelque chose alors qu'une moitié du monde, prise de folie, était possédée du désir de détruire l'autre moitié. Pendant bien des mois ce fut pour nous l'effondrement ; la stupeur, la douleur, le découragement.
Effondrement ! Soit. — Mais, la stupeur passée, réfléchissons. Si l'édifice s'est écroulé n'était-ce pas parce qu'il péchait dans sa construction ? Il s'agit donc de reconstruire en évitant les anciennes erreurs; en tenant compte de la leçon du passé.
Et c'est ainsi que, peu à peu, nous nous sommes ressaisis, que nous avons repris confiance en nous-mêmes; c'est ainsi que nous nous sommes rapprochés de la vie. Car, il est bon de vivre ; et la vie est belle ! Si nous souffrons c'est parce que la Société est laide et les hommes mauvais. Mais ne blasphémons pas la vie. Elle chante, autour de nous, son cantique éternel. Seulement, les âmes sont sourdes. Et le canon qui gronde n'est pas fait pour guérir leur surdité.
Il faut pourtant qu'une aube se lève sur cette nuit d'horreur ; il faut qu'un flambeau surgisse et s'élève au dessus des ténèbres. La civilisation meurtrie, bâillonnée, se débat sous le lourd genou de la barbarie. Les consciences étouffent dans une irrespirable atmosphère ; les cœurs sont enserrés dans un cercle étroit, muré par le doute et le scepticisme. D'où viendra la lumière ? Le flambeau que nous attendons, quelle main va le prendre et l'élever sur nos têtes ? Quelle main ?"
N'avez-vous pas l'impression d'entendre ces phrases autour de vous ? ... et pourtant, elles datent de 1917 !!! Nous les devons à Madeleine VERNET, fondatrice d'un orphelinat social, puis d'une revue dont elle a longtemps rêvé pour rendre ses idées, ses idéaux, réels. La revue s'appelait LA MERE EDUCATRICE. Car Madeleine Vernet a une idée précise de la main qui doit brandir le flambeau : c'est celle de la femme consciente de la valeur de sa fonction de mère. Elle poursuit son texte ainsi :
"Il faut que ce soit la tienne, ô mère ; — source de vie, créatrice d'humanité. A quoi songes-tu donc ? N'as-tu pas compris que ton heure est venue? — Pourquoi te figes-tu dans la douleur ; pourquoi t'immobilises-tu dans la prière ? N'entends-tu pas la vie qui te réclame et qui t'appelle ?
Vous êtes responsables, les mères; - oui, devant l'éternité, vous êtes responsables. Ne le comprenez-vous pas ? Si vous le comprenez, réveillez-vous de votre torpeur. Il est temps, grand temps d'agir; car notre génération marche à l'abîme. Le mal a gangrené les individus; le désordre est en tout et partout, dans la société et dans la famille, au foyer et à la rue, dans les cœurs et dans les consciences. C'est la mort à bref délai — la mort morale, la pire des morts — si nous ne luttons pas de toutes nos forces pour faire remonter le courant à tous ces aveugles qui se noient. Sauvons l'avenir, au moins; pensons à nos enfants ! Ne nous appesantissons pas sur nous' mêmes. Pour nous, c'est entendu, la blessure est là et le fer est dans la plaie. Nous saignons ; nous souffrons. Quoique nous fassions, il nous restera de toutes ces années de douleur, une profonde amertume. Mais nos enfants, eux, sont-il responsables des fautes commises ?
Non ! C'est pour eux, donc, que courageusement il faut reprendre la tâche; pour eux qu'il faut reconstruire l'édifice; pour eux qu'il faut penser, vouloir et lutter. A l'œuvre alors, tous ! Mais à l’oeuvre vous surtout, vous par dessus tout, les femmes ! — les mères !
LA MERE que Madeleine Vernet veut promouvoir, n'est pas celle que des siècles de patriarcat ont réduite et assujettie à une maternité voulue par "la nature". C'est au contraire, une femme moderne, éduquée puis éducatrice, engagée dans la société pour la transformer, citoyenne. Pour elle, c'est cette évolution de la femme qui doit modifier, par conséquence, la fonction de mère et la transformer en force plutôt qu'en faiblesse.
Elle rêve d'une mère consciente que ses enfants doivent devenir des individus grâce à l'éducation qu'elle va leur donner... d'une mère responsable de ses propos qui va stopper l'éducation à la haine... d'une mère qui comprend l'importance de l'école pour les filles et qui va faire alliance avec les enseignants...d'une mère appuyée sur son mari et réciproquement, parce qu'ils sont différents, complémentaires mais font oeuvre commune...
Au bout de son rêve, de "nouveaux enfants" qui préfèreront la paix. Ils auront reçu une éducation physique (qui signifie surtout hygiène, santé, sport), une éducation morale et une éducation intellectuelle. Pour elle, ces 3 versants de l'éducation sont indissociables. Sinon, on ne construirait que des humains-animaux, humains moraux mais désarmés devant la réalité, humains-savants mais sans coeur ni âme.
Ainsi sa revue "d'éducation populaire" visait essentiellement les femmes de la classe ouvrière et alimentait au fil des mois ces 3 registres éducatifs. Madeleine voulait en faire des "faiseuses d'avenir" capables de faire évoluer le proverbe "tel père, tel fils" en "telle mère, telle fille" et encore bien mieux ... "telles mères, tels peuples".
J'ai trouvé intéressant de rappeler l'existence de cette femme, sans doute plus pacifiste que féministe, au moment où nous sommes en plein débat sur la "faillite éducative" et l'éducation à réinventer face aux évènements actuels.
Yvonne KNIBIEHLER repose les mêmes questions : qu'est-ce qu'une maternité féministe ? qu'est-ce qu'une maternité citoyenne ?